Un texte écrit à l’occasion de mon exposition à la Grange à Vanay par Elise Petitberghien
«Je cherche à me situer dans ce monde si mystérieux ». Ce sont des mots qui reviennent souvent chez David Ciana… Ses œuvres sont les points de repère d’un cartographe qui arpente un continent étrange et intense, instable et violent.
Les toiles abstraites relèvent les acmés d’un univers sensoriel : les rafales fiévreuses, les convulsions souterraines, les exultations boréales, les nœuds des veines telluriques, la stupeur minérale, le pouls des marées mystiques. Une carte des vibrations émotionnelles polarisée par les points cardinaux qu’il se donne : l’ombre, la lumière, le ciel et la terre. Les œuvres figuratives fixent des contours
mouvants : l’ombre qui reste lorsqu’un corps s’est levé et a refermé la porte, l’empreinte de l’atome, la boursoufflure des monstres, l’orbe d’un regard, un contour onirique. Des repères esquissés pour un atlas des rives fragiles, une empreinte des instants primordiaux.
Si on réunit les deux cartes, les éléments épars se rassemblent et tout prend sens. On trouve l’homme au centre du monde, à la jonction des contraires. Le réel s’anoblit du rêve, le rêve illumine un cheminement et l’art est la boussole qui guide son exploration.
Elise Petitberghien
Planches anatomiques
Texte écrit par Nicole Kunz dans le cadre de l’exposition « poétique du corps » à la ferme de la Chapelle (Grand-Lancy) – Juillet 2011
En introduisant des planches anatomiques dans ses dessins et collages, David Ciana renoue avec une tradition qui remonte à la Renaissance, époque à laquelle l’art s’est trouvé lié aux progrès de l’anatomie. Pour dessiner ces planches, il fallait en effet des artistes, qui ont par ailleurs largement utilisé ces mêmes documents pour représenter le corps. Léonard de Vinci, Dürer ou Rembrandt sont allés jusqu’à transgresser la loi pour disséquer des cadavres et en découvrir les secrets des muscles, des différents systèmes, afin d’ancrer le mieux possible leurs peintures et dessins dans la réalité cachée des corps. A notre époque, l’imagerie médicale permet de regarder à l’intérieur du corps sans devoir l’ouvrir, et surtout d’observer à l’intérieur des corps vivants. Et pourtant, la même fascination pour le fonctionnement de la machine humaine perdure: les artistes persistent à chercher ce qui est enfoui à l’intérieur et à essayer de le rendre visible dans leur travail. Les planches d’anatomie que David Ciana intègre à ses dessins
constituent, en plus du fait de puiser leur source dans la tradition, dans sa lecture actuelle, également une image éclatée et violente qui va au-delà de la nudité. A partir de là, son dessin peut poursuivre la dissection des corps et continuer à nous révéler ce qui se cache sous la surface. Il semble enlever les couches superficielles pour mettre à nu une autre réalité, celle d’un univers qui lui appartient et qu’il nous offre à voir. Le côté expressionniste de son dessin n’entame en rien la solidité de ses compositions auxquelles il confère équilibre et structure. S’il peut paraître décousu dans un premier temps, le dessin est au contraire construit de manière précise, même si la volonté de l’artiste n’apparaît pas nécessairement du premier coup dans ce processus. Cette rigueur dans la construction serait plutôt due à l’adéquation entre maîtrise du trait et la transposition de l’idée de l’artiste en image, à travers ces corps qui naviguent dans des espaces intemporels et selon une représentation personnalisée de la perspective.
Nicole Kunz
Texte écrit par Elise Petitberghien sur ma série « Ad Narragoniam » Livret d’exposition 2016
AD NARRAGONIAM
En 1492, paraît à Bâle le poème satirique et moralisateur de Sébastien Brant «La Nef des Fous»
ou «Das Narrenschiff ad Narragoniam». L’auteur y caricature une galerie de «fous», détaille leurs
inconduites et leurs travers et les embarque sur une nef symbolique vers la Narragonie, le pays de la folie. Quelques années plus, tard, Jérôme BOSCH (v. 1450-1516) peint un tableau intitulé la Nef des Fous. On y voit une dizaine de personnages, du clergé et laïcs, se livrant à la débauche, la gloutonnerie et l’ivrognerie sur une barque sans voile ni gouvernail. Burlesque illustration de la folie des hommes , il pointe les maux d’une société livrée aux vices et au péché. Ce tableau singulier est le point de départ des séries Stultifera Navis et Ad Narragoniam de David CIANA.
Jusqu’à sa redécouverte tardive au début du xxème siècle, l’ensemble de l’oeuvre de BOSCH a été oubliée et dédaignée. On jugeait ses figures irréalistes et cauchemardesques, la peinture de ses enfers épouvantable. Ce peintre de la peur, cet homme qui livre ses angoisses les plus profondes et les plus intimes aussi ouvertement ne pouvait être qu’un fou ou un sorcier. Dans un contexte de crise religieuse (la Réforme), de poussée mystique et de renouveau culturel (la Renaissance qui s’annonce), les hommes voguent sans repères vers un avenir incertain. Ses
scènes grotesques et ses personnages imaginaires et effrayants sont les reflets de l’âme tourmentée par le spectre de la damnation, de l’hérésie, la peur de l’avenir, la folie du présent.
Crise et harmonie
Mais en guise de rédemption, l’imagination et les expériences intérieures révélées par sa peinture libèrent des rets du réel et , au fil de son oeuvre, laissent placent à une union mystique, une harmonie entre les aspirations de l’homme à une plus grande cohérence morale et ses réalisations humaines, entre les mondes spirituel et charnel. C’est également à cette exploration que se livre David CIANA en cherchant à montrer dans son travail la difficulté d’être, à réunir le corps et l’esprit, cette quête qui, elle-même profondément déstabilisante, peut mener à la folie.
Paradoxe
Bosch utilise notamment le jeu de l’inversion systématique, du renversement du monde pour exprimer les aberrations et dénoncer les injustices et la débauche de son temps. Ce procédé qui traverse l’ensemble de son oeuvre déploie dans la Nef des Fous toute sa force satirique et amère pour constater les paradoxes de la condition humaine et dénoncer les injustices et l’immoralité.
Le personnage le plus marquant ici est peut-être justement le fou, socialement admis et vêtu commetel. Il se détourne de la scène qui se joue et semble méditatif. Au royaume du monde inversé, le bouffon est un roi grotesque qui brandit sa marotte comme un sceptre de folie, et agite ses grelots comme le roi sa couronne de pacotille. Il boit un breuvage sans doute amer à on ne sait quelle victoire, ou une potion qui l’abat en tempérant ses fièvres. Dans un univers à l’envers, qui est fou, qui ne l’est pas? qui est lucide?
Celui qui dépeint les choses telles qu’il les ressent ou telles que tout le monde veut les voir?
Marginalité contemporaine
Les passagers sont tous ensemble mais seuls sur un navire qui figure un asile temporaire, au milieu d’une eau symbolisant le passage et la vie. Ils naviguent d’une rive à l’autre, entre la raison et la déraison, entre la vie et la mort, croisent entre deux continents, sur un bateau qui n’est un lieu ni ouvert, ni fermé, ni sur terre ni immergé, hors du temps, à la marge. On pense aux lieux de quarantaine, à l’attente, aux embarcations folles de migrants qu’un monde d’horreur, de guerre et de famine jette en exode vers l’illusion d’un eldorado européen. L’image de la Nef des Fous résonne douloureusement dans le temps présent.
Enfin, BOSCH appartient pleinement à l’esprit médiéval, riche de légendes, de croyances et de
traditions, où la finesse d’une idée ne se mesure pas à l’aune de la logique cartésienne, mais à la fécondité des analogies, des associations et des correspondances qu’elle engendre. Le champ des exégèses reste ouvert. La polysémie des images permet de poursuivre le jeu des correspondances avec les sujets et préoccupations contemporains que sont la marginalité et la folie, les angoisses profondes que génère un monde en mutation, ou la thématique de la fuite et des mouvements migratoires.
Appropriation et interprétation
En ce sens, Ad Narragoniam, le travail de libre interprétation de la Nef des Fous que propose David CIANA, est parfaitement dans la continuité de l’esprit de l’œuvre (à l’origine élément d’un triptyque
inachevé) et son interrogation des symboles médiévaux invite à son prolongement artistique et
sémantique ancrée dans le présent. En parallèle, ses dessins, aux perspectives mouvantes et aux scènes d’inspiration onirique, se rattachent à une mythologie personnelle. C’est une fenêtre mystique sur une Narragonie qui lui est propre, mais qui fait résonner en chacun de nous l’écho d’un rêve insaisissable, celui de nos peurs et fantasmes secrets.
Les œuvres de Jérôme Bosch et Peter Brueghel ont notamment été diffusées par la gravure. David Ciana a voulu en ré-interpréter quelques-unes, choisie pour la proximité de leur langage symbolique – Des sept péchés capitaux illustrés par Brueghel (1557): L’Orgueil, l’Avarice, la Paresse et la Gourmandise, et « Saint Martin embarqué avec son cheval sur un bateau » (1561) de Johannes et Lucas van Doetechum d’après Bosch, tous édités par Jérôme Cock.
Bosch et Brueghel, peintres attachés au folklore et à aux traditions allégoriques, peignent selon l’esprit des mystères du théâtre médiéval, surnaturels et réalistes représentations des contes et légendes populaires et d’histoire religieuse. Chargés des symboles et allégories usuels de leur temps, les œuvres de Bosch et Brueghel véhiculent jusqu’à nous les archétypes d’un monde en pleine transformation, entre Moyen- ge et Renaissance.
Dans cette suite, David Ciana interroge notre iconographie contemporaine, nos héros et nos contes initiatiques. L’idéal qui nous est proposé pour construire notre étalon de valeur est diffusé massivement, vulgarisé par l’industrie du spectacle. Enfants sans âge, nous sommes inondés depuis des décennies par Disney, Marvel et autres. Des super héros, animaux anthropomorphes ou hommes miraculeux, distillent une mythologie plastique et constamment actualisée à travers une théorie de l’élection, au sens de la prédestination et de la destinée. Les hommes et femmes providentiels ne peuvent échapper à leur destin.
Mais qu’en est-il de la majorités des non-élus, des gens ordinaires ? Nos désirs de dépassement ou tout simplement de donner un sens à notre chemin de vie n’a pas lieu d’être. Et pour calmer nos envies irraisonnées de changer notre destin, sans parler de notre destin commun, puisque nous ne sommes qu’humains, puisque nous partagerons notre sort en silence et qu’on ne peut échapper à la fatalité de n’être que nous, nous aurons le soma édulcoré que nous valons, la camisole chimique des substances libres et licites : nicotine et cyanure, acide éthylique et benzodiazépines.
Les dessins de David Ciana mettent en évidence la léthargie des modèles qui nous sont proposés et celle dans laquelle ils nous plongent. Les personnages fantastiques, en tant que quasi-personnes, entretiennent la confusion entre humain et sur-humain, ou plutôt non-humain.Elles sont des caricatures de femmes et d’hommes à la limite du robot, de la statuette chamanique malveillante retenant prisonniers nos potentiels réels et nous détournant de l’immense champ de notre humanité, à explorer et accepter.
Elise Petitberghien 2016
A l’occasion du livret d’exposition Ad Narragoniam
Publié à Bâle, le 1er mars 1494, jour du carnaval, le récit Narrenschiff de Sébastien Brant connaît un succès éditorial exceptionnel pour le XVème siècle. A l’illustration, un jeune artiste : Albrecht Dürer.
Quelques années après, le grand Jérôme Bosch peint un tableau inspiré de cette œuvre et intitulé la Nef des fous. Cinq cent ans plus tard, David Ciana réinterprète l’étrange équipage depuis son atelier montheysan. Les passagers sont ensemble sur un navire qui figure un abri ou un asile
temporaire en route vers quelque part, sans doute l’au-delà et peut-être plus loin encore.
David Ciana vit et peint à Monthey.
Il expose régulièrement depuis bientôt 25 ans.
L’hiver, comme un horloger, il travaille à son établi des petites pièces. Les beaux jours venus, David rejoint son atelier sous les combles pour de grand formats. Certains jurent l’avoir vu ramer de l’atelier d’hiver à l’atelier d’été dans une barque improbable.
Un jour de carnaval.
Gabriel BENDER – Mai 2016 Malévoz Quartier Culturel – Monthey
A l’occasion du livret d’exposition Ad Narragoniam
David Ciana artiste-peintre
Peintre suisse dont la densité du parcours révèle une maturité artistique impertinente. David Ciana alterne tels les auteurs à la pensée sismique l’intimisme et le symbolisme figuratif et les compositions abstraites, éclatées, discrètement géométriques. David Ciana joue avec le principe d’ombre et de lumière, imprime à ses toiles la violence des contrastes, particulièrement dans ses subtils collages parfaitement intégrés à la composition marquant un retour à ses singuliers paysages en croix. Agencements multiples d’éléments juxtaposés qui éclabousse de près et s’homogénéise paradoxalement avec l’éloignement. Rien n’existe sans son contraire, la lumière s’exprime mieux quand l’ombre la cerne, la couleur éclate à côté du neutre, le travail de David Ciana s’aliène la subjectivation du monde extérieur et de ses vibrations.
Steve Donzé (Dolmen)
David Ciana artist-painter
Swiss painter whose thick background reveals an impertinent artistic maturity, David Ciana alternates figurative intimism and symbolism and abstract compositions, burst, discreetly geometrical as authors endowed with seismic thought do. David Ciana plays with the principle of shade and light, fills its paintings with the violence of contrasts, particularly in its subtle collages perfectly integrated into the composition leading back to its cruciform landscapes. Multiple arrangements of juxtaposed element which mix up closely and paradoxically homogenise themselves with the distance. Nothing exists without its opposite, the light expresses itself better when the shade encircles it, the colour bursts beside the neutral, the neutral, the work of David Ciana alienates the subjectivation of the external world and its vibrations.
Steve Donzé (Dolmen)
Textes de Christian Michaud
La peinture de Ciana est une peinture nouée, coulée, tracée et déroulée sur une trame évoluant au même rythme, à la même cadence, sur le même flot, à savoir les pulsions cachées et connues de lui seul et qu’il semble vouloir traduire dans une sorte de composition sérielle, classée et très construite.
C’est une suite séquentielle de gestes picturaux gravement ordonnés où n’est sensiblement impliqué ni le souci de plaire, ni la tare de se complaire.
C’est une peinture sans compromission, nue et dont la subtile agression est lente et prégnante, la sûre progression inaltérable, comme le sont les plus profondes sources. C’est là où l’apparente gratuité se heurte à quelque chose de muet, de sourd, de lourd que l’on ne peut définir qu’en soi, profondément. Il y a une disposition alternée de surfaces aplanies, de traits parfois curieusement expressifs, de flux délicatement colorés, comme obéissant à un code qui n’aurait que faire d’une élégance trop facile pour entrer spontanément dans le cru, le clair, le direct. Ciana, c’est une peinture brute, disons-le, sans chichi, sans fioritures, sans chablon de limpidité ou de mesure: c’est la peinture d’un doux fou qui n’exulte pas à travers elle, mais plus bizarrement s’y perd ou s’y cache, laissant la trace d’un être qui ne se résout pas à être plus objectif, plus déterminé, plus parlant. Cela surprend et cela touche, car l’homme est comme ses tableaux: il est à la fois flou et linéaire, brut et précieux, dense et éthéré.
Il se dégage d’une première vision de l’oeuvre quelque chose de parfaitement inattendu et subtil pour moi qui ne connaissais pas l’art de ce peintre: Ciana, c’est la cohérence. Je veux dire que l’abstraction se fait ici merveilleuse clé d’un monde « cianien » inconnu et très personnel, magnifique développement d’une galerie costumière parfaitement homogène et surtout, sans paradoxe aucun, l’expression d’une aventure picturale complètement sincère.
Christian Michaud 07
Les nouvelles démarches de David Ciana
Tout d’abord, il convient de préciser qu’une première approche de la peinture de David Ciana m’a été proposée il y a quelques mois par l’artiste lui-même et cette rencontre m’a permis de réaliser une petite étude de sa peinture, rapide ébauche d’accompagnement d’une partie de son œuvre abstraite.
Aujourd’hui, Ciana me propose de jeter à nouveau un regard sur son œuvre en précisant que son intention est d’ajouter au domaine très intériorisé de l’abstraction un glissement vers une gestuelle plus figurative,voire plus formelle. En effet, dès le premier regard, on sait que l’on a à faire à tout autre chose,à une approche désormais différente que Ciana explique par une volonté nouvelle d’allier d’abord sa peinture au dessin, geste qu’il a hautement pratiqué dans des centaines de petites œuvres aux traits lestes et efficaces. Mais là où son approche est foncièrement nouvelle et déroutante,c’est qu’il s’associe pour ce faire les services d’une construction purement académique pour dériver «silencieusement» vers une allitération du thème à la fois subjective et suggestive, et non l’inverse, comme on aurait pu l’attendre, c’est-à-dire par une forme de «noyade» de la chose académique sous le flot impétueux de la subjectivité. Alors est-ce une manière de conforter son geste, de le formaliser, de le faire agréer que de présenter ainsi en une série considérable de grands tableaux écrus ces célèbres planches anatomiques du médecin de la Renaissance, André Vésale, représentant le corps humain dans une attitude empruntant plus facilement au théâtre qu’à la science? Et d’y importer ou exporter en chacun d’eux une sorte de plus-value éthérée, comme la touche intemporelle de l’âme, comme un mirage dans l’espace, comme une mystérieuse aura? Qui donc est cet orant implorant au visage tourné vers le ciel et qui semble d’une main déchirer ses propres chairs alors que de l’autre il suggère toute la misère et la fatalité humaines? Et que viennent donc dire et prétendre ces flous accompagnants, ces anges gardiens, ces clones aériens que Ciana dispose comme des souffles, comme des fantômes, comme des «vies» autour de l’écorché initial?
C’est là où je sens moi-même toute la gravité de la chose, où je tente à mon tour de répondre à ces questionnements « à fleur de peau », dans une dissection à la fois physique et morale, très intimement liée aux vieilles douleurs primales. C’est là où je me sens concerné par les utopiques missions de l’homme qui semble s’acharner à se comprendre, à se chercher, à se demander pourquoi, à questionner les nues dans ses insondables quêtes existentielles. C’est là enfin où s’opère la vraie distinction entre le réel et l’imaginaire. Et cette association de l’anatomie pure et de cette mystique éthérée proposée par Ciana révèle une impossible osmose mais aussi une inéluctable distanciation de l’esprit et du corps.
Christian Michaud 07
(Livres de C. Michaud: » Nécrose », « Les languages de la mort », « Le carcan suivi du procès ».)
Corps poreux
Texte d’Elise Petitberghien
J’y vois nos corps poreux,
La lumière bue à longs traits, que l’on exhale ensuite en halos, crescendo,
Nos chairs gorgées de sensations, qui se délitent et se fondent aux couleurs,
Nos peaux, enfin traversées, sourdement griffées à l’urgence.
Ne restent que la crudité du squelette, lieu du bouleversement, creuset bouillonnant,
Les longues écharpes d’éblouissement accrochées à l’ivoire de nos bras écartés
Et nos auras sublimées au polissoir de nos os.
Elise Petitberghien
Les fulgurances de Ciana
Galerie Farel à Aigle 2007 David CIANA propose des éclats de fulgurance dans ces oeuvres récentes.
Pour lui, l’abstraction est le fruit un langage fait de formes et de couleurs.
Elle est destinée à offrir la vision de toutes les tempêtes intérieures et à
matérialiser des exigences profondes d’une spiritualité en mouvement.
Ce que David CIANA souhaite montrer, c’est le foisonnement visible et secret qui entoure la vie,
la sienne propre bien évidemment, mais aussi celle qui fait que chaque instant est différent.
Galerie Farel à Aigle 2007
Exposition Crochetan 07
Laurence Bender et David Ciana au Crochetan à Monthey 2007 Magazine « le Vendredi » Bimensuel édité à Monthey
La peinture pour le dire… et se dire
Le Théâtre du Crochetan abrite en ce moment la première exposition commune de David Ciana et Laurence Bender. Une rencontre en terre montheysanne de deux univers artistiques où se nouent et se dénouent les fils de l’abstrait et du figuratif, ceux de l’âme et du corps.
Un homme, une femme. Deux artistes, deux univers artistiques particuliers, mais une sensibilité proche et surtout une même passion. C’est sous l’invitation de Denis Alber, directeur du Théâtre du Crochetan, que le montheysan David Ciana et la martigneraine Laurence Bender se partagent les murs de l’établissement. Une première exposition commune pour ces deux jeunes peintres qui se côtoient pourtant depuis longtemps. Ils l’avouent, l’expérience se révèle particulièrement enrichissante: «On se découvre beaucoup par la rencontre. Et cela nous fait évoluer». Cette rencontre artistique dévoile en effet, au-delà des particularités de style et de méthode, un rapprochement dans la démarche, les réflexions et le ressenti.
Le marathon de l’âme et du corps
«Si je peux le dire, pourquoi le peindre?» Cette citation de Francis Bacon traduit parfaitement le lien que les deux artistes entretiennent avec la toile. La peinture? Une expression de vie, de soi, de ses multiples facettes, des plus sombres aux plus lumineuses, mais aussi un investissement total, une passion qui investit l’être et l’âme pour ne plus les lâcher.
«C’est aussi un marathon que l’on n’a jamais fini de courir», précisent les deux artistes.
Mais la peinture pour David Ciana et Laurence Bender, c’est aussi un travail avec et autour du corps. Le geste pictural bien sûr, mais plus encore. Le corps se fait vecteur par lequel traversent et s’expriment les profondeurs de l’âme: «On peint avec le corps, explique Laurence Bender. Le mien, par exemple, doit être totalement détendu et relâché. Si la tête seule fonctionne, ce n’est pas de la peinture. Une vraie chorégraphie se créé autour de la toile. Le mental arrête de fonctionner, c’est le corps, animé par l’âme, qui peint.»
Le corps est aussi source d’inspiration et thème de figuration. Le travail de David exposé au Crochetan s’inspire plus particulièrement des planches anatomiques d’André Vésale, médecin de la Renaissance. Des planches qu’il dissèque et revisite à coups de crayon et de couleur et auxquelles il ajoute une touche subjective, suggestive et intemporelle. Le peintre, plus porté vers l’abstrait depuis le début de sa carrière, explique sa démarche: «Dans l’abstrait j’explore les couleurs et l’énergie de l’âme, à la différence de la figuration qui me permet d’approcher la complexité de notre rapport avec le corps. J’aime l’idée que nous ne sommes pas qu’un corps physique.»
La matière explorée
Le jeu ou la réflexion entre l’abstrait et le figuratif parcourt également toute l’oeuvre de
Laurence Bender. L’artiste s’exprime en explorant la matière, par couches successives, grattages, symboles. S’y dégage une «sensibilité de femme, tout en douceur, subtile, sans agressivité, selon les mots de David Ciana. J’aime son rapport entre le côté figuratif et abstrait, et son utilisation des couleurs avec des camaïeux. Aucun ton ne détonne sur l’autre.»
Le respect est réciproque. Admirative devant la solide connaissance du geste et de la couleur du peintre montheysan, Laurence Bender apprécie en particulier «son travail remarquable sur le corps humain, son évolution, ses transformations».
Au final, cette exposition, présentée dans le cadre du Festival Francophonie en Fête, met en parallèle deux mondes qui vont tout simplement bien ensemble.
JV
Ma peinture
Mon discours est chacune de mes toiles
Mon discours est chacune de mes toiles.
Mon langage celui des formes et des couleurs.
Ce que j’essaie de transmettre est la violence d’être.
La capacité de tenir debout malgré tout.
Rester debout quand de violentes tornades nous secouent de l’intérieur.
Exprimer mes tremblements de terres intérieurs pour les transcender et les vivre du mieux possible.
La peinture est mon sismographe.
David Ciana
« Peindre de toutes mes forces, de toute mon âme. Encore m’acharner au quotidien. Prendre le jour comme il vient. En sachant que je pourrais peindre malgré tout. Vivre l’instant avec toute son intensité. Sachant que je pourrais le partager, avec d’autres, partager ma folle envie de vivre et de peindre. De tableau en tableau, de rencontre en rencontre, j’explore le monde, quelle richesse ! «
David Ciana