La plupart des dessins sont inspirés par les études de planches anatomiques du traité de Vésale:
« De humani corporis fabrica » et de Valverde de Amusco, Juan (ca. 1525-ca. 1588). «
« Anatomia del corpo humano »
L’art de chercher l’âme
Depuis son exposition en 2011 à la Ferme de la Chapelle, l’œuvre de David Ciana s’est épanouie, offrant à voir des réalisations d’une grande force et maturité, articulées en séries distinctes, dont la diversité des thématiques n’est pourtant qu’apparente. Des dessins aux peintures, de la figuration expressionniste à l’abstraction, tout concourt à exprimer une quête profondément ancrée, qui l’oblige à aller regarder sous la surface pour plonger dans les méandres de l’âme humaine.
Avec les planches d’anatomie, l’artiste avait scruté les détails physiques qui composent le secret du corps humain. Ces figures sans peau, magnifiant la mécanique du vivant et symbolisant la fragilité et sensibilité de l’homme, ont permis à David Ciana de libérer son geste, comme pour compenser la perfection de ces dessins anciens, par une vibration puissante et presque destructrice. Avec une assurance renouvelée, il a repris ses pinceaux pour y ajouter la couleur. Mais contrairement aux œuvres picturales de jeunesse, il a attaqué cette fois la toile avec violence, remplaçant la planche anatomique par un espace cruciforme – titre donné à cette série – qui construit la composition tout en subissant un écartèlement par les traces de peinture laissées par un geste vif et précis, qui en révèlent la beauté explosée. Il superpose de cette manière deux plans distincts, l’un marqué par un équilibre parfait et artificiel, l’autre, superposé au premier, qui balaie la surface plane dans un éclaboussement tourbillonnant de matière brutale.
En noir et blanc, comme dans Ombres et lumières, ou en couleur, comme dans les Floralies ou les Panoramiques, la peinture se réfère désormais à elle-même, concentre à la fois le signifié et le signifiant; elle répond au souci perpétuel de l’artiste de creuser pour arriver à l’essence, à l’origine. Fleurs, paysages ou entrailles dévoilées au regard? La frontière est labile, l’interprétation libre. On devine chez lui l’incessante recherche de ce qui se cache en dessous. La figure dépecée pour montrer muscles et organes prend tout son sens dans l’évolution du peintre qui s’est appuyé sur un élément historique, comme l’avaient fait les sculpteurs à l’époque, pour le transcender et le dépasser.
L’hommage aux artistes anciens revient régulièrement ponctuer son travail, de Bosch à Vermeer, en passant par Bacon. Mais il ne s’arrête pas en chemin, il utilise un chef-d’œuvre pour l’intégrer à sa propre réalisation, lui donner une suite après l’avoir décortiqué et analysé. Toujours avec respect et avec une curiosité admirative et émerveillée qu’il partage avec le spectateur.
David Ciana ne s’arrête pas au concept, il poursuit sa réflexion, la poussant à l’extrême, aux confins de la folie – comme dans la Nef des fous – jusqu’à passer en revue toute la gamme des émotions humaines, des plus nobles aux plus exacerbées ou mortifères. Il n’a pas peur (ou devrait-on dire plus peur?) de donner libre cours à son imaginaire débordant, car son voyage au bout de l’humain l’a enrichi, affirmé son inspiration, et aussi sa technique artistique. Ce parcours, il l’a effectué en solitaire, pas à pas et avec la modestie qui le caractérise, pour nous restituer une œuvre étoffée et consistante, d’une sensibilité profondément incarnée et d’une grande générosité.
Nicole Kunz, historienne de l’art