Les œuvres de Jérôme Bosch et Peter Brueghel ont notamment été diffusées par la gravure. David Ciana a voulu en ré-interpréter quelques-unes, choisie pour la proximité de leur langage symbolique – Des sept péchés capitaux illustrés par Brueghel (1557): L’Orgueil, l’Avarice, la Paresse et la Gourmandise, et « Saint Martin embarqué avec son cheval sur un bateau » (1561) de Johannes et Lucas van Doetechum d’après Bosch, tous édités par Jérôme Cock.
Bosch et Brueghel, peintres attachés au folklore et à aux traditions allégoriques, peignent selon l’esprit des mystères du théâtre médiéval, surnaturels et réalistes représentations des contes et légendes populaires et d’histoire religieuse. Chargés des symboles et allégories usuels de leur temps, les œuvres de Bosch et Brueghel véhiculent jusqu’à nous les archétypes d’un monde en pleine transformation, entre Moyen- ge et Renaissance.
Dans cette suite, David Ciana interroge notre iconographie contemporaine, nos héros et nos contes initiatiques. L’idéal qui nous est proposé pour construire notre étalon de valeur est diffusé massivement, vulgarisé par l’industrie du spectacle. Enfants sans âge, nous sommes inondés depuis des décennies par Disney, Marvel et autres. Des super héros, animaux anthropomorphes ou hommes miraculeux, distillent une mythologie plastique et constamment actualisée à travers une théorie de l’élection, au sens de la prédestination et de la destinée. Les hommes et femmes providentiels ne peuvent échapper à leur destin.
Mais qu’en est-il de la majorités des non-élus, des gens ordinaires ? Nos désirs de dépassement ou tout simplement de donner un sens à notre chemin de vie n’a pas lieu d’être. Et pour calmer nos envies irraisonnées de changer notre destin, sans parler de notre destin commun, puisque nous ne sommes qu’humains, puisque nous partagerons notre sort en silence et qu’on ne peut échapper à la fatalité de n’être que nous, nous aurons le soma édulcoré que nous valons, la camisole chimique des substances libres et licites : nicotine et cyanure, acide éthylique et benzodiazépines.
Les dessins de David Ciana mettent en évidence la léthargie des modèles qui nous sont proposés et celle dans laquelle ils nous plongent. Les personnages fantastiques, en tant que quasi-personnes, entretiennent la confusion entre humain et sur-humain, ou plutôt non-humain.Elles sont des caricatures de femmes et d’hommes à la limite du robot, de la statuette chamanique malveillante retenant prisonniers nos potentiels réels et nous détournant de l’immense champ de notre humanité, à explorer et accepter.
Elise Petitberghien